À propos du coefficient professionnel

Docteur Marie PASCUAL, association RAMAZZINI, octobre 2022

Dans son principe, inscrit dans la loi de 1898, la réparation des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles (AT MP) est censée indemniser, de façon forfaitaire, la « perte de capacité de gain ».

En effet le compromis social qui a abouti à cette loi, après plusieurs années de négociations et de procès, a consisté à échanger la présomption d’imputabilité contre une réparation forfaitaire.

Rappel juridique

La présomption d’imputabilité pour les accidents du travail, appelée présomption d’origine professionnelle pour les maladies professionnelles est le principe selon lequel :

  • tout accident survenu du fait ou à l’occasion du travail est considéré comme accident du travail et indemnisé comme tel, sans qu’on recherche la responsabilité de l’une ou l’autre des parties.

  • est reconnue maladie professionnelle toute maladie répondant aux critères définis dans un tableau figurant au code de la sécurité sociale. La victime n’a pas à démontrer le lien entre la maladie et ses conditions de travail. (Loi du 25 octobre 1919).

La réparation forfaitaire est la contrepartie de ce principe. Elle s’oppose à la réparation intégrale, qui est la règle en matière d’indemnisation des dommages corporels en droit commun.

La réparation intégrale a pour objectif de « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage ». Elle indemnise « tout le préjudice mais rien que le préjudice ».

On distingue :

1. Les préjudices patrimoniaux (ou préjudices économiques) :

  • dépenses dues à l’accident du travail ou à la maladie : soins, aménagements, tierce personne, restés à la charge de la victime ;

  • la perte de revenus (présents et à venir),

  • l’incapacité physiologique (taux d’incapacité permanente partielle).

2. Les préjudices extrapatrimoniaux (ou préjudices personnels) :

  • pretium doloris (souffrances physiques et morales)

  • préjudice d’agrément (diminution des plaisirs de la vie, du fait des séquelles sport, sorties, pratique d’un instrument de musique etc...)

  • préjudice esthétique (dégradation de l’apparence physique, cicatrices etc.)

  • préjudice sexuel (activité sexuelle et fonction de reproduction)

A ce sujet voir la liste intégrale des postes de préjudices, dite nomenclature DINTILHAC

La réparation forfaitaire dans le régime AT-MP :

Elle prend en compte une partie des préjudices économiques :

  • les dépenses liées à la maladie (soins, indemnités journalières mais pas les aménagements nécessaires)

  • le préjudice d’incapacité (taux d’IP)

  • mais elle ne prend pas en compte la perte de revenus   

Elle ne prend en compte aucun préjudice personnel.

Ce régime de réparation, issu du compromis de 1898, est donc nettement moins favorable que celui du droit commun. Il apparaît aujourd’hui assez anachronique.

Le barème

Un barème indicatif d’invalidité spécifique aux AT et MP encadre l’évaluation des taux d’incapacité, lesquels déterminent le niveau de l’indemnisation.

L’idée est que « l’incapacité permanente correspond à la subsistance d’une infirmité, consécutive à l’accident de travail, et diminuant, de façon permanente, la capacité de travail de la victime »[1]. Ainsi la perte de capacité de gain s’évalue à partir du taux d’IP déterminé par le médecin conseil de la sécurité sociale.

Or ce barème est strictement médical et, par certains aspects, très approximatif, incomplet, voire obsolète dans sa conception. Il est difficile d’y reconnaître l’objectif de la perte de capacité de gain… Ainsi un cadre supérieur qui perd l’usage d’un membre dans un accident de la route lié au travail, puis retrouve son poste antérieur est indemnisé au même taux qu’un ouvrier non qualifié qui, atteint du même handicap à la suite d’un accident du travail, perd son emploi sans espoir de pouvoir en retrouver un autre.

Surtout, nombre de salariés victimes d’accidents ou de maladies professionnelles sont licenciés pour inaptitude avec des taux d’incapacité permanente (IP) dérisoires, inférieurs à 10 % (au maximum 4 439 €), voire à 5 % (au maximum 2 108 €).

On est donc très loin de la prise en compte de la perte de capacité de gain, qui accompagne en théorie la notion de réparation forfaitaire…

Le coefficient professionnel

Pour tenter de combler cette lacune, a été mis en place un coefficient professionnel (aussi appelé incidence professionnelle ou taux professionnel ou encore coefficient pour déclassement professionnel) qui vient s’ajouter au taux d’IP évalué médicalement à partir du déficit fonctionnel, et prétend indemniser le retentissement socio- économique des séquelles de l’accident ou de la maladie.

Or, dans les faits, ce coefficient, lorsqu’il est attribué puisque ce n’est pas systématique, atteint difficilement plus de 5 % et se situe généralement autour de 2 ou 3 % !

2 exemples concrets :  

Ainsi Monsieur A., manutentionnaire dans la grande distribution, victime d’un accident du travail en 2014, à l’âge de 48 ans, souffre d’une entorse grave du genou qui va nécessiter 4 interventions chirurgicales successives avec finalement mise en place d’une prothèse. L’accident est consolidé en 2021, avec un taux d’IP de 12 %, qui est porté à 15 % par la Commission Médicale de Recours Amiable. Ce taux est confirmé par le Tribunal Judiciaire : il est en effet conforme au barème…

Entre temps M. A est licencié pour inaptitude, sans proposition de reclassement dans cette entreprise qui fait pourtant partie des leaders de la grande distribution.

Son handicap physique est important, ne lui permettant pas de reprendre un poste à fortes contraintes physiques (marche, station debout, port de charges…).

À 56 ans, inscrit à Pôle Emploi avec de sévères restrictions d’aptitude, une rente d’accident de travail qui représente 7,5 % de son salaire, que peut-il espérer pour gagner sa vie ?

Monsieur L., 53 ans, maçon, est atteint d’une épicondylite du coude droit, reconnue en maladie professionnelle puis consolidée après 3 ans de traitements médicaux et chirurgical, avec un taux d’IP de 8 %. Cette pathologie a pourtant laissé de lourdes séquelles avec limitation douloureuse des mouvements du coude et diminution très importante de la force de préhension, qui rendent impossible toute activité mettant en action le coude droit. Monsieur L a été licencié pour inaptitude sans possibilité de reclassement. Dans ces conditions le préjudice professionnel est majeur pour un travailleur manuel de 53 ans qui ne maîtrise pas la langue française. Le taux d’IP de 8 % est dérisoire : : un seul versement de 3773,19 € « pour réparer la perte de capacité de gain » !

Ces histoires illustrent l’indigence de la réparation des AT/MP alors que les salariés sont exclus du travail pour inaptitude d’origine professionnelle. Elles sont banales, les médecins de l’association RAMAZZINI rencontrent de très nombreux salariés dans des situations tout à fait similaires.

Il faut aussi souligner la carence du maintien dans l’emploi dans le monde du travail (entreprises, services de santé au travail…). La « prévention de la désinsertion professionnelle » est pourtant érigée en priorité par les institutions de santé au travail et les politiques publiques.

La révision du barème ?

Alors qu’il est question de « réviser le barème » et que le ministère mène des travaux quasi à huis clos pour ajuster les évaluations médicales du déficit fonctionnel, il conviendrait de commencer par poser la question majeure du préjudice économique des victimes d’AT/MP licenciés pour inaptitude. 

La juste solution serait d’indemniser les personnes à hauteur de leur précédent salaire jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi. Une telle mesure changerait sans aucun doute la politique de maintien dans l’emploi des entreprises…

Au-delà de la réflexion sur le coefficient professionnel, c’est le débat sur la réparation intégrale qu’il faut reprendre sérieusement. Car la sous déclaration et la sous reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail, et l’indigence de la réparation qui leur est réservée constituent une injustice sociale manifeste.  Il faut de plus faire le constat qu’une telle situation est bien loin de pouvoir peser sur les politiques de prévention des risques en milieu de travail.

De plus, il apparaît tout à fait injuste qu’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qui ne peut plus travailler, perçoive une rente pour incapacité permanente nettement plus faible qu’un autre salarié atteint d’un handicap similaire mais qui a obtenu une pension d’invalidité au titre de l’assurance maladie.
Voir notre article à ce sujet

[1]Lamy, Protection sociale . Édition 2008. page 1111.

 
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