Indemnisation de la surdité professionnelle : l’application du barème AT-MP pose question
Marie PASCUAL, association RAMAZZINI, janvier 2025
1. L’oreille est composée de plusieurs parties
l’oreille externe : pavillon de l’oreille et conduit auditif externe jusqu’au tympan
l’oreille moyenne : petite caisse (caisse du tympan) en communication avec les voies aériennes supérieures (pharynx) par la trompe d’Eustache, et qui comprend 3 osselets articulés (marteau, enclume, étrier) qui transmettent l’onde sonore jusqu’à - l’oreille interne : l’onde sonore est transformée en influx nerveux transmis au cerveau. L’organe sensoriel qui assure cette transformation s’appelle la cochlée.
2. Il faut comprendre qu’il y a deux grands types de surdité selon la nature des lésions touchant l’appareil auditif :
soit il s’agit d’une surdité de transmission : dans ce cas c’est l’oreille moyenne (ou l’oreille externe mais c’est plus rare), par exemple traumatisme du tympan, séquelles d’otites à répétition… et c’est la transmission de l’onde sonore transmise par voie aérienne qui est de mauvaise qualité.
soit il s’agit d’une surdité de perception, quand c’est l’oreille interne qui est touchée : la cochlée, organe sensoriel assurant la traduction de l’onde sonore en influx nerveux. Dans ce cas c’est l’atteinte de la perception qui est à l’origine de la surdité. Les acouphènes sont aussi un symptôme de l’atteinte cochléaire. C’est le cas de « l’atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels » inscrite au tableau 42 du régime général :
Tableau 42 : « hypoacousie de perception
par lésion cochléaire irréversible accompagnée ou non d’acouphènes »
- les surdités mixtes associent une atteinte de la transmission (oreille moyenne) et de perception (oreille interne)
3. L’interprétation de l’audiogramme permet la distinction entre ces deux types d’atteintes :
L’audiométrie mesure la perception des sons pour la gamme de fréquence de 250 à 8000 Hz
en conduction aérienne, transmission des sons par un casque posé sur les oreilles : courbe tracée en ligne continue.
en conduction osseuse, transmission des sons par un vibreur au contact de la boîte crânienne, l’intérêt étant de tester uniquement l’organe de perception. La courbe est tracée en pointillés.
Le résultat de l’audiométrie est différent selon qu’il s’agit d’une…
Surdité de transmission :
le déficit concerne toutes les fréquences, il est représenté par la courbe aérienne.
la courbe de conduction osseuse est préservée, il y a donc un écart significatif entre les deux courbes.
Tableau 42 : « cette hypoacousie est caractérise par un déficit bilatéral, le plus souvent symétrique et affectant préférentiellement les fréquences aiguës »
Surdité de perception :
le déficit affecte préférentiellement les fréquences élevées
les courbes en conduction osseuse et aérienne sont superposées, il peut toutefois y avoir un petit décalage de 5 à 10 dB[1]
[1]Il est noté dans le manuel d’Audiologie pratique de F. LEGENT et collaborateurs, aux éditions Masson (2002) à la page 19 : « Dans l’immense majorité des cas, la C0 (conduction osseuse) est égale ou meilleure que la CA (conduction aérienne) … L’audiogramme d’une surdité purement neurosensorielle (c’est le cas de la surdité liée au bruit) peut avoir une courbe arienne se situant 5 à 10 dB au-dessous de la CO, sans qu’on puisse en tirer de conclusion ».
Que dit le barème indicatif ATMP (paragraphe 5.5.2) ?
a. « L’IPP est fonction de la perception de la voix de conversation. »
La conversation est transmise bien évidemment par voie aérienne et non osseuse.
L’audiométrie doit comprendre l’audiogramme tonal, en conduction aérienne (qui apprécie la valeur globale de l’audition), et en conduction osseuse (qui permet d’apprécier la réserve cochléaire), et l’audiogramme vocal. »
Il est donc clair que, en cas de surdité de perception par lésion cochléaire, attestée à l’audiogramme par la similitude des 2 courbes, le niveau de l’hypoacousie doit être apprécié en conduction aérienne.
b. Se pose la question de faire la part de l’atteinte cochléaire en cas de surdité mixte. Le barème précise alors :
« Lorsqu’il s’agit d’apprécier dans une surdité mixte, la part qui revient à une surdité cochléaire, le calcul devra être fait d’après l’audiométrie tonale en conduction osseuse ».
Ce qui signifie en creux que, lorsqu’il s’agit d’une surdité cochléaire pure, l’évaluation de l’IP doit être faite d’après l’audiométrie tonale en conduction aérienne.
Il est donc clair qu’il faut prendre en compte les chiffres du déficit en conduction aérienne sauf en cas de surdité mixte.
c. Ceci a été confirmé par la Cour de Cassation qui, dans un arrêt (Chambre sociale, n°97-15.996, 28.01.1999) a eu à traiter de ce problème dans le cadre de la détermination du taux d’IPP, précise : « l’incapacité permanente, qui est calculée en fonction de la perception de la voix, doit être évaluée (… ) à partir des résultats de la conduction aérienne qui est celle par laquelle sont reçus les sons ».
5. il faut préciser de façon claire l’interprétation du barème.
Dans les dossiers défendus par l’association Ramazzini, les taux d’IP des surdités professionnelles - de perception pure - sont généralement évalués par les médecins-conseils sur la courbe de conduction osseuse, au motif que « c’est la part cochléaire qui doit être prise en compte ».
De même, cette question de l’interprétation du barème nous est opposée dans la quasi-totalité des expertises, les experts estimant eux aussi que ne doit être pris en compte que le déficit cochléaire mesuré par la courbe de conduction osseuse, même en cas de surdité de perception pure.
Nous pensons que ce n’est pas l’esprit du barème, qui demande que soit considérée la perception de la voix de conversation.
Ce désaccord n’est pas anodin car, même si l’écart est minime entre les 2 courbes osseuse et aérienne, en cas de surdité de perception pure, le calcul du taux d’IP, en application du tableau à double entrée du paragraphe 5.5.4, peut être significativement différent. Par exemple il est courant, pour les déficits atteignant le seuil de 35dB requis par le tableau 42, que le calcul sur la courbe osseuse donne un taux de 8% alors que, en conduction aérienne, le calcul donne 18%.
Sur ce point il faut souligner aussi que le barème est resté au calcul pondéré des déficits selon les fréquences, défavorable par rapport au calcul non pondéré, instauré dans le tableau 42 lors de la révision de 2003.
Enfin la question est d’autant plus importante qu’il n’y a pas de possibilité d’aggravation dans le cas de la surdité professionnelle au-delà du délai de prise en charge de 1 an après la fin de l’exposition.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que l’indemnisation des surdités professionnelles devrait être revue et faire l’objet d’une mise au point sur l’application du barème.