Invalidité et Rente Accident du Travail/Maladie Professionnelle

Marie SANROMAN, S2NM CFDT & Association RAMAZZINI
Maître Arnaud OLIVIER - Barreau de Paris –
juillet 2022

Les victimes de Maladies professionnelles (MP) et/ou d’Accidents du Travail (AT) sont très souvent piètrement indemnisées. Se pose alors la question de quelle voie emprunter : déclaration de Maladie Professionnelle ou d’accident du travail, Invalidité ou les deux ?

L’indemnisation en Accident du Travail ou Maladie Professionnelle

Lorsqu’un Accident du Travail ou une Maladie Professionnelle est consolidé, le médecin conseil de la CPAM fixe un taux d’Incapacité Permanente Partielle (Taux d’IPP) en s’appuyant sur le barème d’invalidité d’Accident du Travail et barème d’invalidité des Maladies Professionnelles.

L’Article L434-2 Code de la Sécurité Sociale dispose « Le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité » .

Le principe de l’indemnisation en AT/MP étant la réparation forfaitaire (moins vrai en cas de Faute Inexcusable de l’Employeur), l’indemnisation est souvent faible.

Il est important ici de rappeler que lorsque ce taux n’atteint pas la barre des 10 % un capital est versé en une seule fois à la victime (capital allant de 426 € pour 1 % d'IPP à 4 268 € pour 9 % d'IPP – montants 2022).

Lorsque le taux atteint au moins 10% d’IPP, la victime a droit à une rente. Le taux utile de la rente est le taux d’IPP divisé par 2 jusqu’à 50% d’IPP, et multiplié par 1,5 au-delà. Par exemple pour 70% d’IPP le taux utile de la rente sera de :

(50 / 2) + (20 x 1,5) = 25 + 30 = 55% de taux utile de rente.

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le taux d’IPP devient le taux utile de la rente (de sorte que pour un taux d’IPP inférieur à 51% cela aboutira à un doublement).

Le salaire de référence correspond le plus souvent au salaire brut moyen des 12 mois civils complets précédents :

-     l’arrêt de travail,
-     à défaut d’arrêt la consolidation,
-     et à défaut de salaire dans les 12 mois précédant la consolidation il faut retenir les 12 mois précédant la dernière exposition au risque.

Les rentes AT-MP sont payées tous les trimestres pour les taux inférieurs à 51% d’IPP et tous les mois au-delà.

Il est également important de rappeler que les rentes sont supportées par la branche AT/MP de le Sécurité Sociale (seule branche excédentaire) financée exclusivement par les cotisations patronales, contrairement aux pensions d’invalidité qui sont supportées par la branche maladie financée par les cotisations tant patronales que salariales. 

  • 1er exemple : Tendinopathie de l’épaule

Pour une tendinopathie de l’épaule chez une femme de ménage ayant été licenciée du fait de cette MP, le taux d’IPP dépasse rarement les 10 %.
10 % d’IPP = 5 % du salaire de référence.
Pour un salaire moyen de 1 500 €, la victime percevra donc 225 € par trimestre de rente viagère.

  • 2ème exemple : Cancer de la prostate

Pour un cancer de la prostate le taux d’IPP est souvent évalué à 60 %.
60 % d’IPP = 40 % du salaire de référence.
Pour un salaire moyen de 2 000 €, la victime percevra donc 800 € par mois de rente viagère.

  • 3ème exemple : Une phalange distale coupée

Un menuisier s’étant coupé la première phalange du pouce de son côté dominant (côté gauche chez un gaucher, droit chez un droitier) s’est vu attribuer un taux d’IPP de 14 %. Il a été licencié du fait de cet AT.
14 % IPP = 7 % du salaire de référence.
Pour un salaire moyen de 1 800 €, la victime perçoit 378 € par trimestre de rente viagère.

Impôts et retraite

La rente AT/MP est viagère et cumulable avec les autres revenus (salaire, retraite, allocations chômage…). Elle n’est pas soumise à l’Impôt sur le revenu.

Si l’assuré n’a pas atteint l’âge légal pour partir à la retraite (62 ans) et souffre d’une incapacité permanente reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, il peut demander la retraite pour incapacité permanente à taux plein, à compter de l’âge de 60 ans, quelle que soit sa durée d’assurance.

Conditions :

  • Avoir cotisé auprès du régime général des salariés, du régime des salariés agricoles et/ou du régime des non-salariés agricoles,

  • Avoir au moins 60 ans,

  • Justifier d’un taux d’incapacité permanente résultant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle. Nota : sont exclus du dispositif les accidents de trajet.

  • Justifier d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à 20 % ou, sous certaines conditions, au moins égal à 10 % et inférieur à 20 %.

Le taux d’incapacité permanente peut résulter de l’addition de plusieurs taux, sous réserve que l’un d’eux soit au moins égal, pour une même maladie professionnelle ou un même accident du travail, à 10 % et ce, que ce soit au régime général, au régime des salariés agricoles et au régime des non-salariés agricoles.

L’indemnisation en Invalidité

Il importe d’avoir bien en tête le fait que les barèmes d’évaluation de l’incapacité permanente partielle sont différents en AT-MP et en invalidité.

Il n’y a pas de correspondance et il est admis en pratique qu’en général l’incapacité permanente est appréciée beaucoup plus favorablement en maladie ‘simple’ (= invalidité) qu’en AT-MP.

Cela constitue un vice important du système qui peut inciter à la sous déclaration, et contre lequel nous essayons de lutter en nous saisissant des textes applicables.

***

Un salarié est considéré invalide au sens de la Sécurité sociale si, après un accident ou une maladie d'origine non professionnelle, la capacité de travail ou de gain est réduite d'au moins 2/3 (66,66 %) (Article L341-1 et L341-3 CSS).

Les personnes invalides sont classées, par la Sécurité sociale, selon les 3 catégories suivantes (L341-4 CSS) :

  • 1ère Catégorie : Invalides capables d'exercer une activité rémunérée

  • 2ème Catégorie : Invalides absolument incapables d'exercer une profession quelconque

  • 3ème Catégorie : Invalides absolument incapables d'exercer une profession ET se trouvant dans l'obligation de recourir à une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie courante.

Montant de la pension d’invalidité

Le salaire de référence pour le calcul de la pension d’invalidité est la moyenne des salaires bruts des 10 meilleures années.

  • 1ère Catégorie : 30 % du salaire de référence

  • 2ème Catégorie : 50 % du salaire de référence

  • 3ème Catégorie : 50 % du salaire de référence + 1 146,69 € par mois en 2022

Si le montant de la pension (sans la Majoration pour Tierce Personne) est inférieur à 1418.09 €, le minima de 1418.09 € sera appliqué. A l’inverse, si le montant est supérieur à 2839.29 € le plafond de 2839.29€ sera retenu.

Impôts et retraite

La pension d'invalidité est soumise à l’Impôt sur le revenu, contrairement à la rente AT/MP. En revanche, la majoration pour tierce personne n'est soumise à aucun prélèvement.

En invalidité l’assuré est mis automatiquement à la retraite à l’âge légal de la retraite, soit actuellement 62 ans. Cela permet à l’assuré de toucher une retraite à taux plein même s’il n’a pas obtenu le nombre de trimestres requis.

4ème exemple : Un salarié est atteint d’un cancer non professionnel de la prostate.

Il est placé en invalidité 2ème catégorie. Sa pension s’élèvera à 50 % de son salaire de référence.
Pour un salaire moyen de 2 000 € il percevra donc une pension de 1 000 € (contre 800 € s’il l’avait déclaré en Maladie Professionnelle, voir supra).

Peut-on combiner les deux afin de voir sa rente AT/MP augmentée ?

Il est admis, et nous n’entendons pas le contester, que pour une ou des lésions séquellaires identiques, il n’est pas possible d’être indemnisé 2 fois, c’est-à-dire au titre de l’invalidité et de la rente AT-MP.

Toutefois il existe malgré tout des possibilités d’articulation intéressantes.

Il existe 2 textes principaux dans le CSS concernant l’articulation entre rente AT-MP et pension d’invalidité.

L’article L 371-4 CSS dispose :

« L'assuré titulaire d'une rente allouée en vertu de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, dont l'état d'invalidité subit à la suite de maladie ou d'accident une aggravation non susceptible d'être indemnisée par application de ladite législation, peut prétendre au bénéfice de l'assurance invalidité si le degré total d'incapacité est au moins égal à un taux déterminé. Dans ce cas, la pension d'assurance est liquidée comme il est prévu au chapitre 1er du titre IV du présent livre, indépendamment de la rente d'accident.

Toutefois, le montant minimum prévu à l'article L. 341-5 est applicable au total de la rente d'accident et de la pension d'assurance. Ce total ne peut, en aucun cas, excéder le salaire perçu par un travailleur valide de la même catégorie professionnelle. »

Cet article indique que pour un salarié atteint de MP ou d’AT reconnu mais également d’autres pathologies étrangères au travail, c’est le cumul de toutes ces affections (professionnelles ou pas) qu’il faut prendre en compte pour évaluer s’il peut prétendre à une pension d’invalidité. Si l’ensemble de ces affections implique bien une diminution de la capacité de travail ou de gain de 66,66 %, alors il aura droit à une Pension d’Invalidité tout en gardant le bénéfice de ses rentes AT/MP. C’est l’état général de la personne qui est à prendre en compte, mais encore faut-il qu’il ait au moins une atteinte non professionnelle en plus des AT/MP.

L’article L434-2 CSS dans son alinéa 5 dispose quant à lui que :

« Lorsque l’état d’invalidité apprécié conformément aux dispositions du présent article est susceptible d’ouvrir droit, si cet état relève de l’assurance invalidité, à une pension dans les conditions prévues par les articles L. 341-1 et suivants, la rente accordée à la victime en vertu du présent titre dans le cas où elle est inférieure à ladite pension d’invalidité, est portée au montant de celle-ci. Toutefois, cette disposition n’est pas applicable si la victime est déjà titulaire d’une pension d’invalidité des assurances sociales ».

Cet article indique que lorsqu’un salarié voit reconnaître le caractère professionnel de sa pathologie, alors la rente MP doit être portée au montant auquel il aurait droit avec une Pension d’Invalidité, peu important le taux d’IPP de la victime en AT-MP.

Dans certains cas la mise en œuvre de ce texte est facile puisque l’assuré bénéficiait d’une pension d’invalidité pour la ou les mêmes affections, avant que le caractère professionnel soit reconnu.

C‘est souvent le cas pour les demandes de maladies professionnelles non visées par un tableau, et notamment les risques psycho-sociaux.

Les textes sont assez imbitables et délicats à lire. D’ailleurs l’analyse des quelques décisions rendues par la Cour de cassation sur le sujet aide à les rendre compréhensibles (Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 2 mai 2007, 06-12.441, Inédit + Cass. 2e civ. 4 mai 2016 n° 15-17.530 (n° 655 F-PB), N. c/ Caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier).

Ainsi par exemple lors des premières lectures on pourrait se dire que dans notre cas (invalidité avant reconnaissance AT-MP), puisqu’il y a déjà une pension d’invalidité, le texte est inapplicable.

Or en réalité par définition dans le cas traité par l’article L434-2 CSS alinéa 5 il y a identité stricte de séquelles, de sorte que l’invalidité est annulée compte tenu de la prise en charge en AT-MP.

Le texte a donc bien vocation à s’appliquer dans ce cas.

5ème exemple : Reprenons l’exemple de ce salarié atteint d’un cancer de la prostate.

S’il s’est vu attribuer une pension d’invalidité pour ce cancer, qu’ensuite il le déclare en de Maladie Professionnelle et est reconnue, sa rente de MP ne peut être inférieure à la pension d’invalidité qu’il touchait initialement.

Concrètement, pour un salaire de 2 000 €, nous avons vu plus haut (cf. exemple n°4) qu’il touchait une pension d’invalidité de 1 000 € mensuelle.
Il déclare alors son cancer en Maladie Professionnelle. Nonobstant le taux utile de rente de 40 % qu’il obtiendrait (cf. exemple n°2 supra), sa rente viagère ne pourra être inférieure aux 1 000 € qu’il touchait en invalidité.

L’intérêt étant triple :

-     La rente devient viagère et n’est plus imposable contrairement à la Pension d’Invalidité.

-     Les salariés qui ne font pas valoir l’Article L434-2 CSS se voient réclamer le remboursement de la différence entre l’invalidité et la rente MP depuis le début du versement de la PI.

-     Faire payer ces rentes par la branche AT/MP et non par la branche maladie.

6ème exemple Une caissière atteinte d’épicondylites et d’épitrochléites…

Cette salariée a obtenu plusieurs taux d’IPP : 20 % pour un AT, 8 % pour une épicondylite, 5 % pour l’autre épicondylite, 15 % pour une tendinopathie d’une épaule. Outre ces atteintes dues au travail, elle est âgée de 58 ans, est usée et a d’autres atteintes non- professionnelles : hallux-valgus, ulcère gastrique, péricardite, syndrome de Morton.

Elle fait une demande de mise en invalidité. Le Médecin conseil refuse au prétexte qu’elle est largement (sic !) indemnisée aux titres des pathologies professionnelles.

L’affaire est portée devant le Pôle Social du Tribunal Judiciaire. Nous faisons valoir l’article L371-4 arguant que c’est l’état général (AT + MP + atteintes non professionnelles) qu’il faut prendre en compte. Elle gagne et obtient son passage en invalidité. Elle cumule la Pension d’Invalidité aux rentes AT/MP.

EN PRATIQUE :

  1. Soit il y a identité de lésions et on applique L434-2 CSS alinéa 5 pour obtenir que le montant de la rente AT-MP soit portée au montant de la PI.

  2. Soit, et c’est ce que nous allons chercher à obtenir dans le montage des dossiers, il faut chercher une pathologie non prise en charge en AT-MP pour essayer d’accrocher une PI tout en conservant le bénéfice des rentes AT-MP.

    Classiquement il peut s’agir de problème de dos, d’une dépression, d’un diabète, cancer…etc.

  3. Il devrait pouvoir y avoir une 3e application du texte même si en pratique pour l’instant nous n’avons pas eu l’occasion de faire valider notre raisonnement, ce qui a été le cas au départ de notre réflexion pour les 2 hypothèses évoquées ci-dessus :
    Lorsque l’AT-MP est reconnu sans qu’il n’y ait jamais eu de PI, il doit être possible d’obtenir une évaluation des séquelles au regard au barème d’invalidité, et si cela aboutit à un montant supérieur alors le montant de la rente AT-MP doit être portée au montant que donnerait une PI pour les mêmes séquelles.

    Il s’agit là d’une simple application de ce que prévoit le texte (L434-2 alinéa 5).

    En pratique la porte d’entrée risque d’être la notification de rente AT-MP, qu’il faudra contester en invoquant ce raisonnement.

    Et nous serions bien inspirés d’en solliciter expressément l’application avant que la Caisse statue.

 
 
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