La révision des barèmes AT/MP
Dr. L. PRIVET, association RAMAZZINI, avril 2022
Tout barème d’indemnisation est une création artificielle liée à l’idéologie de ceux qui le construisent et à leur position vis à vis du handicap, l’élément déterminant étant ce que cela coûte à ceux qui financent l’indemnisation.
Le principe de l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles est la réparation « forfaitaire », bien inférieure à la réparation « intégrale » appliquée en droit commun.
Les barèmes AT/MP s’inscrivent dans un dispositif de réparation forfaitaire où le taux d’IP (incapacité permanente), censé « réparer la perte de capacité de gain » constitue la seule réparation contrairement à une réparation intégrale qui serait plus juste car prenant en compte en plus du degré d’invalidité les autres préjudices (moral de la douleur, économique, d’agrément...).
Petit rappel historique
Le premier barème accidents du travail date de 1939, s’inspirant du barème des pensions militaires créé antérieurement. Il prend en compte l’incapacité fonctionnelle soi-disant de façon indépendante, mais en fait par rapport à la capacité de travail d’un manœuvre moyen.
Le barème est révisé en 1982, mais en fait il est peu différent de celui de 1939. Quant au barème maladies professionnelles il est créé en 1989 par un Haut comité médical, mais officialisé en 1999.
Ces barèmes comportent des imperfections, mais avec le temps on s’était habitué aux règles en essayant d’en tirer le meilleur parti, tout en estimant qu’ils avaient besoin d’un toilettage.
Mais cela fait longtemps que le patronat, qui finance en totalité l’indemnisation des AT/MP, trouve que cela lui coûte cher. Il est en train de mener la bataille pour baisser le coût des AT/MP aidé par des professionnels de santé à sa botte.
La révision actuelle… « à coût constant »...
On est en train d’assister, quelque peu impuissant, à une remise en cause en profondeur des taux d’IP avec un mouvement général vers la baisse, le prétexte de la remise en cause étant qu’il faut tenir compte du progrès des connaissances médicales.
Dans les années 2012/13 une première alerte est venue. On s’est alors rendu compte que la CNAM avait élaboré un barème parallèle en direction des médecins conseils pour minimiser les taux. Devant la réaction suscitée par cette initiative, menée par la revue Santé Travail (avec un article dans le Monde) la CNAM a reculé.
Mais ils sont revenus à la charge et en 2016 a été créé un « Comité d’actualisation des barèmes AT/MP » dont les organisations syndicales et les associations de victime ont été exclues.
Il semble que les travaux de ce Comité aient bien avancé et au vu du peu d’informations dont nous disposons on peut craindre le pire.
Un article paru en 2019 dans une revue concernant les maladies respiratoires donne une idée de ce que sera le nouveau barème respiratoire, avec une remise en cause des acquis.
Par ailleurs à partir d’informations émanant d’organisations syndicales siégeant dans des structures officielles de concertation, on a un avant-goût de ce que sera l’indemnisation des lésions de l’appareil musculosquelettique, qui constituent la majeure partie des accidents du travail et des maladies professionnels.
Sans entrer dans les détails, à partir des exemples fournis sur le membre supérieur, se profile la technique de raboter les taux pour les atteintes les plus fréquentes et qui coûtent donc cher et d’apparaître généreux pour les autres, dans une optique affichée de rester à coût constant.
Cette stratégie est flagrante pour les épaules avec une tendance à ramener les taux en dessous de 10 % (donnant lieu à un capital et non pas une rente), tandis que l’indemnisation des coudes apparaît presque meilleure au regard du barème actuel. Il faut dire que pour les épaules, les modifications restrictives du tableau n°57 avaient déjà mis un bon coup de butoir.
La question du coefficient professionnel
En ce moment il est beaucoup question du coefficient professionnel dont le but est de réparer le préjudice économique quand la victime est licenciée ou présente une perte de gain quand elle est reclassée. Les coefficients professionnels actuellement attribués sont ridicules.
Si la volonté du Comité est d’uniformiser les pratiques qui sont actuellement très disparates, les solutions proposées ne sont que du saupoudrage loin des résoudre le problème de la compensation juste de la perte de gain, sachant qu’il est affirmé sans ambiguïté que la réforme doit être menée à coût constant.
Pour notre part nous estimons que l’idéal serait que la perte de gain soit intégralement compensée tant que la victime n’a pas retrouvé un travail aux revenus équivalents et ce dans le cadre d’une réparation intégrale, rejoignant ainsi le dispositif appliqué en droit commun.
Propositions
Rouvrir le débat sur la réparation intégrale des accidents et maladies professionnels.
Il est nécessaire que le débat sur la réparation intégrale en matière d’AT/MP, ayant eu lieu au tout début des années 2000, reprenne, mais en attendant il y a peut-être une solution applicable à moyen terme.
Résoudre le problème de l’inégalité entre le régime maladie (invalidité) et le régime AT/MP (rente selon le taux d’incapacité)
L’invalidité, notamment de 2ème catégorie, compense le manque à gagner chez les personnes en incapacité totale de travail, dans le cadre de l’assurance maladie. Les médecins conseils en font régulièrement une variable d’ajustement pour minimiser l’indemnisation AT/MP. Dans certains cas, il apparaît préférable d’obtenir une invalidité 2ème catégorie, beaucoup plus avantageuse qu’une maladie professionnelle avec un taux d’IP bas bien qu’ayant entraîné une incapacité de travail.
Dès lors on constate une différence de traitement, à handicap similaire, selon qu’il s’agit d’une invalidité ou d’une indemnisation dans le cas d’un AT ou d’un MP.
On pourrait alors admettre que dans le cas d’un AT ou d’une MP la perte de gain soit compensée, en tenant compte du taux d’IPP, jusqu’à hauteur de ce qui est prévu pour une invalidité 2ème catégorie, soit 50 % du salaire brut.
A ce sujet lire notre article “Invalidité et Rente Accident du Travail/Maladie Professionnelle”